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Les alternants de la promo 42 de l’Institut Pratique du Journalisme lancent Diasporama !

Un regard éphémère porté sur les diasporas de la région parisienne et illustré par des étudiants des Gobelins.

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Homosexualité et diaspora: ouple de femmes de confessions différentes

Homosexualité et diaspora : « On l’a caché longtemps»

En couple depuis six ans, Camélia*, musulmane, et Leah*, juive séfarade, cultivent la discrétion. En France, au-delà des traditions qui les cloisonnent, leur homosexualité reste taboue.

L’immeuble est quelque peu impersonnel. Une résidence étudiante XXL de l’Est parisien, bâtiment A refait à neuf, cinquième étage. Vingt-sept mètres carrés de murs blancs et un balcon avec vue sur les toits de Paris. Mais ni photos accrochées, ni traces de cet amour passionné qui a pourtant mis quelque temps à se consolider. C’est là que Leah* vit depuis plus de cinq ans. Dont deux, partagés avec « sa femme », l’amour de sa vie : Camélia, musulmane pratiquante, Tunisienne « de génération en génération ». « Au début, elle était claire : malgré son homosexualité, elle voulait épouser un musulman », se souvient Leah. « J’en ai beaucoup souffert. Moi, j’étais dans la projection. Elle avait du mal à accepter de ne pas rentrer dans le moule. »

Les deux jeunes femmes se rencontrent sur une application. À peine sorties de l’adolescence, conscientes, chacune, qu’elles jouent à un « jeu dangereux, un jeu coupable, sans retour en arrière possible ». « J’ai vu cette fille, Camélia », explique Leah. « Je l’ai trouvée belle. Je me suis dit, si ça se trouve, elle est feuj ! Elle m’a intriguée. On a commencé à parler et, rapidement, j’ai supprimé l’appli. Comme si, au fond de moi, je savais que c’était elle. » Les semaines passent et les sentiments se renforcent. Camélia – « elle est même incapable de tuer une araignée ! » – apporte à Leah la sécurité dont elle a tant manqué, au lycée. Leah, audacieuse, la pousse dans ses retranchements. Et chacune vit là sa première, sa plus grande histoire d’amour.

 

Double-jeu

Très pratiquante, Camélia initie Leah aux traditions familiales. Pendant le ramadan, la Francilienne de 24 ans vient rompre le jeûne chez ses beaux-parents. Officiellement, elle est juste « la meilleure copine », de passage dans la banlieue du Nord de Paris où Camélia a grandi. Et pour le moment, personne ne semble avoir percé le stratagème. Il faut dire que Leah fait l’unanimité. « C’est elle qui m’a aidée à réviser le bac », sourit Camélia. « Ma mère lui faisait des petits gâteaux, du thé… Mais ils ignorent toujours ce qu’elle représente vraiment pour moi. »

Camélia s’allume une clope. Ça aussi, elle évite devant ses parents. « Ils viennent d’un tout petit village du Sud de la Tunisie, où il fait 50°C », détaille-t-elle… Non sans une certaine fierté. « Mon père – il a la Légion d’honneur maintenant ! – a commencé à travailler très jeune. À huit ans, il vendait déjà des cigarettes pour subvenir aux besoins de sa famille. Ils ont émigré en France tôt. Mais tous les autres sont restés au pays. J’aurais peur de les décevoir si je leur dis. Qu’ils craignent d’avoir échoué quelque-part. Surtout ma mère : elle porte le voile, elle prie, elle cultive l’altruisme et la générosité. C’est une bonne sœur ! Mais pour elle, l’amour doit suivre un schéma traditionnel : on ne peut pas être en couple si l’on est pas marié. »

Exit la frustration de dissimuler un pan si vaste de son existence – seuls deux membres de sa fratrie de cinq sont dans la confession. La brune se sent chanceuse : avec ses parents, elle vit une relation privilégiée. Mais elle n’imagine toujours pas leur révéler son plus grand secret. « Je me suis toujours mis des barrières, pour ma religion, ma famille, les gens avec qui je traîne. Chez moi, je reste cette fille célibataire, bien éduquée et studieuse. Mais je me sens bien comme ça, je ne culpabilise plus du tout de ne rien dire. »

 

« Rien ne doit sortir du cadre »

Souvent étouffée par le regard des autres, Leah a, elle aussi, préféré garder le silence. Seules ses deux sœurs aînées et sa mère ont appris qui était cette « meilleure amie » dont elle ne pouvait s’éloigner. Quatre ans après. « Au début, ma mère était très choquée, elle a commencé à imaginer la réaction de la famille… Si je lui ai dit, c’est pour soulager notre relation : je ne voulais pas qu’elle pense que j’étais une cachottière. Comme je ne dis jamais rien, j’avais peur qu’elle m’imagine une vie d’hétéro hyper dévergondée », s’amuse-t-elle, clin d’œil appuyé à Camélia. « Alors que je suis posée, en couple et heureuse, entre de bonnes mains. »

Mon père, ça le rendrait malade.

La jolie Tunisienne est une « bonne fréquentation » que sa mère a désormais adoptée. « Par contre, mon père, ça le rendrait malade» Pour ce scientifique, cartésien et presque trop sérieux pour le rôle, « rien ne doit sortir du cadre. » « Le premier truc qu’il ferait s’il le savait, je pense que ce serait de chercher le meilleur psychiatre, le meilleur psychologue de France pour m’accompagner », se désole la jeune femme. « Il ne parviendrait pas à dormir sans comprendre pourquoi j’ai dévié de son modèle de réussite préétabli. »

 

« Il n’est pas très religieux »

Elle l’assure pourtant : rien à voir avec Dieu, avec l’enfance de ses parents au Maghreb. Car ils sont divorcés et chez elle, les pratiques juives ont évolué. Le téléphone reste allumé pendant le shabbat. Entre deux bouchées de dafina, ce mets juif marocain traditionnel, et de ce couscous sucré au lait typique de Tlemcen, en Algérie, qui fait saliver son père. « Il n’est pas très religieux. Il est simplement assez fermé d’esprit. »

Camélia décapsule une autre bière blanche. Elle n’a jamais pu passer le cap d’une fête juive aux côtés de sa compagne. Ce serait une « trahison » envers son Dieu – et la foi relève de l’intime. Mais leur couple est solide : les différences culturelles et religieuses ne l’ont jamais fragilisé. Pas plus que les a priori de leur entourage. « J’ai trouvé ma moitié », résume-t-elle, les yeux pétillants.

 

Briser le tabou

Pour les deux femmes, qui ont appris à dépasser leurs préjugés, la règle est désormais de s’adapter à ceux des autres. Car tous ne méritent pas de les voir tomber le masque. « J’ai encore une appréhension quand je dois dire à quelqu’un que je suis amoureuse d’une fille », explique Leah. « Si la personne en face de moi est très religieuse, très conservatrice, je vais le garder pour moi. Si, par contre, c’est quelqu’un qui semble ouvert, alors je le dis avec plaisir. » « L’homosexualité, c’est tabou dans presque toutes les familles, indépendamment de la religion ou du pays d’origine, note Camélia. Ce n’est juste pas un sujet dont on parle à table. »

L’appartement se remplit de volutes de fumée et le niveau de la bouteille de Pinot baisse tandis que les filles déballent, main dans la main, les souvenirs de six ans de vie commune. Comme ce voyage en Israël, réalisé il y a près de trois ans. Inoubliable périple entre Tel Aviv, Eilat, Jérusalem et la Mer Morte. « J’ai fait un stage là-bas, je vivais chez ma grand-mère, qui a fait son aliyah [retour en Terre promise, ndlr] il y a quelques années, précise Leah. Camélia m’a rejointe. Au début, elle était très réticente. Elle avait peur de passer pour une traître, une vendue. »

 

Énergie positive

Camélia prétend alors à sa famille rendre visite à sa meilleure amie en Espagne. Elle fait ses valises en cachette, plongée dans la culpabilité. Partir en Israël est-il une forme d’engagement politique ? Prend-elle parti en découvrant, en touriste, ce pays secoué par un conflit qui la dépasse ?

Là-bas, pourtant, l’énergie la galvanise. Elle fait même voler en éclat toutes ses idées reçues : « le vivre-ensemble entre musulmans et juifs, on ne le voit pas dans les médias. Pourtant, sur place, il y a une vraie mixité, les gens sont aimables, généreux et bienveillants… » A Tel Aviv, elles découvrent le bonheur de ne plus se cacher. « Ma grand-mère avait un gros a priori sur les Arabes, souligne Leah. Et je lui ai fait fermer son clapet quand je lui ai parlé de Camélia ! »

 

« On voit l’avenir ailleurs qu’en France »

Passionnées de voyage, les filles s’appliquent à décortiquer leurs destinations jusqu’à trouver « le peu d’ouverture d’esprit présent » dans des pays au premier abord « très tradis ». Comme en Tunisie, leur prochaine grande étape. « Pour Camélia, la Tunisie, c’est tout de suite la maison familiale, et la famille renvoie au manque d’ouverture d’esprit et de diversité. Mais c’est avant tout la terre de ses parents, un pays magnifique, et on veut absolument y retourner ensemble. »

Pour le couple, l’herbe est en tout cas plus verte ailleurs. Entre deux projets d’entrepreneuriat avec des amis, elles nourrissent l’ambition de s’expatrier. « Si l’on doit s’épanouir, vivre pleinement, se structurer en tant que couple. Si l’on doit dire haut et fort à tout le monde, sans filtres, que l’on s’aime… On doit quitter la France », lance Leah. Elle avoue avoir « fait le tour de Paris » et de la banlieue fermée du 93 où elle a grandi et où chaque faux pas peut susciter, dans un quartier où tout le monde se connaît, messes basses et rumeurs destructrices.

 

La Californie comme objectif

Elle et Camélia rêvent d’un Los Angeles de carte postale, où codes sociaux et diktats ne sont que de mauvais souvenirs. « Là-bas, c’est Gay Pride, homoparentalité à foison, et si tu te teins les cheveux en vert ou que tu as un look atypique, personne ne te regarde bizarrement ! »

Sans ressentir la pression d’un départ immédiat, l’envie de se projeter ailleurs, ensemble, les titille. Et si les mœurs changent, la France est encore « trop arriérée » pour leurs velléités de liberté. Qu’à cela ne tienne : « j’obtiens toujours ce que je veux, lâche Camélia avec un sourire déterminé. Et Leah, elle est comme moi. »

 

*les prénoms ont été modifiés

 

Crédit illustration : Hanna Seguin.