
« Ce qui s’oublie et ce qui reste » : la mémoire des diasporas africaines
Le musée national de l’histoire de l’immigration propose, jusqu’au 29 août, de revenir sur les souvenirs des diasporas africaines à travers les œuvres multi-formats d’artistes contemporains.
« Regarder et comprendre le monde d’un point de vue africain ». C’est le pari de l’exposition Ce qui s’oublie et ce qui reste, à découvrir au Palais de la Porte-Dorée, à Paris. En collaboration avec le Musée d’Art Contemporain Africain Al Maaden de Marrakech, elle explore la diffusion de la mémoire grâce à dix-huit artistes originaires de diasporas de tout le continent.

L’entrée de l’exposition au Palais de la Porte-Dorée. Crédit : Mélisande Queïnnec
En résultent des collages, peintures, tissages, vidéos ou encore photographies, souvent engagés, qui questionnent. Comment peut-on transmettre ses connaissances et expériences aux générations futures ? Comment continuer à faire vivre sa diaspora dans un monde globalisé ? Et quel peut être le rôle de l’artiste dans cette passation ?
Tisser « la nouvelle corde »

Le parcours de l’exposition. Crédit : Mélisande Queïnnec
Ici, pas de clichés sur l’Orient ou de motifs pseudo « ethniques » comme ceux qui croulent chaque été sous les portants dans les grands magasins. L’exposition se veut contemporaine et audacieuse. Une scénographie tout en vidéo et en musique permet de s’immerger dans les souvenirs des artistes… Des jeux dans la cour des HLM de France à l’égrenage du couscous.
Casque vissé sur les oreilles, une dame d’une cinquantaine d’années s’émeut du témoignage de cet homme, berbère, qui confie ses difficultés à s’exprimer dans sa langue maternelle. « Je vis à peu près la même chose, précise-t-elle, le regard doux, en reposant le casque sur son socle. Mes parents étaient immigrés italiens. A force de ne plus pratiquer, mon niveau d’italien baisse. Et j’ai l’impression de perdre un peu de ce qu’ils m’ont laissé. »

Hicham Benohoud – série « La salle de classe ». Crédit : Mélisande Queïnnec
Allégoriques, poétiques, critiques pour certaines, des pièces peuvent choquer, d’autres surprendre. L’ensemble pourrait parfois même sembler abscons pour le public les plus éloignés des enjeux de l’exposition. « Je ne m’attendais pas vraiment à ça », confie un visiteur, habitué du musée du Quai Branly. Il s’avoue un peu perdu : « le spectateur n’est pas vraiment guidé, il doit interpréter lui-même ce qu’il voit. »
« C’est au bout de l’ancienne corde qu’on peut tisser la nouvelle », peut-on lire sur un panneau signé de l’artiste ivoirien Ishola Akpo. Pour lui, « l’ancienne corde, c’est d’aller dans ma tradition pour renouer avec mes origines. » C’est d’ailleurs en tissant que la marocaine Amina Agueznay a par ailleurs signé Curriculum Vitae. Un textile de plusieurs mètres de haut dont les « ramifications » évoquent « le maillage social » et la notion de la transmission.

Amina Agueznay – « Curriculum Vitae ». Crédit : Mélisande Queïnnec
Continuité

Archives autour de la colonisation. Crédit : Mélisande Queïnnec
S’intéresser à des artistes africains était un choix porteur de sens. Le continent, lieu de conflits sanglants, porte le lourd héritage de la colonisation. A l’image du Palais de la Porte-Dorée – musée des colonies dans les années 1930.
Le lieu est en lui-même un « objet d’études intéressant », pour la commissaire de l’exposition, Meriem Berrada, directrice artistique du Musée d’Art Contemporain Africain Al Maaden. Car en 1931 se tient, à la Porte-Dorée, l’Exposition coloniale internationale. Elle promet un « tour du monde en un jour » et attire huit millions de visiteurs. Le musée n’a pas effacé les traces de son passé discutable. Et certains artistes s’en sont saisis : plusieurs photographies, lettres et vieux objets d’époque rappellent ainsi cette période qu’il est plus facile d’oublier.
Ces archives ont attiré Amina, 36 ans, curieuse de revenir à la Porte-Dorée malgré la fermeture de la collection permanente. Cette Algérienne d’origine est née dans l’Essonne mais avoue conserver un lien très fort avec le pays de ses ancêtres. « Je retourne au ‘bled’ quasiment tous les étés », sourit-elle. Elle s’arrête devant des dessins en noir et blanc, représentations racistes du « Nègre » et couverture du Code noir. « Mon grand-père ne parle pas beaucoup de la guerre d’Algérie, de la colonisation, mais je sais que ça l’a marqué. Et en plus, le minimum que je puisse faire aujourd’hui, c’est de m’informer. »
L’ensemble des œuvres et la scénographie mettent en lumière la variété des nouveaux talents des diasporas africaines et offrent une réflexion universelle sur la mémoire. Qu’importe son origine ou sa diaspora, comment peut-on laisser une trace de notre passage aux générations futures ? Une exposition déroutante, mais nécessaire.
Crédit illustration : Inès Pons-Teixeira.